Camille Paulhan pour l’exposition Papiers, Galerie Gratadou, 2017
Dans le silence de l’atelier, une mouche ordinaire, aux grands yeux orange, semble être tombée dans une épaisse couche de ces pigments bleus dont Natalia Jaime-Cortez use pour ses dessins. Dans la vidéo que cette dernière a tournée, ladite mouche, sans hâte, frotte ses pattes et fait frissonner ses ailes devenues opaques pour se débarrasser de cette pulvérulence inattendue. Le procédé de la mouche rappelle celui de l’artiste dessinant ou peignant, agissant par jeux d’aller-retour entre ce qui doit être recouvert et ce qui doit être ôté. Georges Braque, dans les années 1950, le dit joliment à propos de son travail pictural : « Quand je commence, il me semble que mon tableau est de l’autre côté, seulement couvert de cette poussière blanche, la toile. Il me suffit d’épousseter. (…) Lorsque tout est nettoyé, le tableau est fini. » La mouche bleue de Natalia Jaime Cortez, qui paraît sortie d’une rêverie d’Alice au pays des merveilles, pourrait donc éclairer avec finesse la production de l’artiste.
Ses dessins, légers sans pour autant être fragiles, relèvent de gestes premiers : plier puis déplier, pigmenter, tremper… Autant d’actions révélées par les papiers, tout autant supports qu’acteurs du dessin. Pour la plupart, ces papiers ont déjà vécu auparavant, ont connu des sédimentations avant d’être repris par Natalia Jaime-Cortez, qui en a modifié la matière : elle a transformé ces papiers japonais qu’elle affectionne, fins et souples, en des surfaces crayeuses et stratifiées. Leur délicate translucidité dévoile parfois l’ancien trait d’encre qui venait s’y épanouir.
On ne s’étonnera pas d’apprendre que l’artiste réalise également des performances, au cours desquelles, comme la mouche de tout à l’heure, elle n’hésite pas à entrer dans la couleur, à se laisser recouvrir de pigments purs bien volatiles. Son travail de dessin ne se situe pas à côté de cet intérêt pour le geste, pour la danse, mais bien tout contre : ses pliages qui retiennent dans leurs lignes de crête de minces liserés aux teintes variées ne manquent de faire penser aux chorégraphies lentes de Marie Cool, venant manipuler des feuilles de papier immaculées.J’espère que Natalia Jaime-Cortez me pardonnera de conclure ce texte sur une autre métaphore animale, mais ses dessins à l’encre, dans lesquels les gestes précis viennent former des sillons colorés qui bien souvent dépassent le champ du papier, me renvoient inévitablement au texte de Francis Ponge, « Escargots » (1936). L’écrivain évoque, loin des clichés habituellement liés au gastéropode, le « sillage argenté » de ces « êtres dont l’existence même est œuvre d’art » grâce à leurs sécrétions perçues comme miraculeuses. « Quel bonheur, quelle joie donc d’être un escargot » se réjouit même l’auteur. Et en effet, que rêver de plus gracieux que cet éloge du peu, de la lenteur et de la discrétion qui conduit à une contemplation des usures, froissures et autres craquèlements de surface.